Seuls sont légers les papillons

Dès 1954 mon père consignait dans un calepin ses affectations successives de coopérant banquier en Afrique noire. En 1972 il meurt, nous rentrons en France, j’ai dix ans. Ma mère échange encore quelques lettres avec Philomène la nounou et Constantin le boy, restés au Togo. Et puis il n’est plus vraiment question d’Afrique à la maison.

Je reviens à Lomé trente ans plus tard. La maison d’enfance est enfouie sous un parking. Les gens ne sont plus là. Il reste quelques odeurs, quelques sons. Je prends brutalement conscience de la béance qui vient de s’écouler. Enfant, les kilomètres que je subissais sur la banquette arrière de la voiture me plongeaient dans l’ennui, dans la rêverie somnolente et dans l’invention de mondes imaginaires. Les kilomètres que j’avale aujourd’hui pour aller de place en place font affleurer les souvenirs…

Les premiers d’entre eux sont de Philomène la nounou, Constantin le boy, Bertin le jardinier ou encore Céleste le gardien, Honoré le chauffeur. Nous étions des enfants libres. Nous étions dans leurs pattes. Ils nous donnaient l’essentiel et nous faisaient grandir. Ils nous enveloppaient comme des êtres chers. Ils nous montraient l’hospitalité. Tous les deux ou trois ans nous quittions ces “domestiques”, au gré des affectations de mon banquier de père. D’autres les remplaçaient.

Je reviens sur l’album photo de la famille. J’écris. Je photographie. Je fouille la mémoire. Je cherche à remplir la béance. De ce qui me constitue aujourd’hui, de ce qui habite mon regard, quelle est la part de l’Afrique ?